L’objectif d’égalité professionnelle entre femmes et hommes est affiché par l’Europe depuis sa création et a été réaffirmé dans les années 90 (Traités de Lisbonne, de Barcelone et d’Amsterdam) en accordant une place centrale à la promotion de l’accès des femmes aux postes à responsabilité (Commission européenne, 2006). Depuis deux décennies, cette attention se double de la promotion du Gender mainstreaming, c’est-à-dire la prise en compte d’une exigence d’égalité entre les femmes et les hommes dans toutes les politiques mises en œuvre au niveau communautaire (Jacquot, 2013).
Pourtant, les femmes ont toujours moins de chance de devenir managers durant leur parcours professionnel, comme l’illustrent tous les travaux sur le plafond de verre en France et à l’étranger (Laufer, 2004 ; Buscatto et Marry, 2009 ; Yaish et Stier, 2009 ; Pochic et al., 2011) et ce malgré des avancées récentes en la matière, notamment par la diffusion du modèle du couple à double carrière ou encore du fait des obligations faites aux entreprises en matière d’accords sur l’égalité professionnelle ou de lutte contre les discriminations. Les objectifs restent loin d’être atteints : en 2014, dans l’Union Européenne, les femmes ne représentent que 35 % des managers (Eurostat 2015). Si cette proportion est variable selon les pays, ceux qui se caractérisent par les plus forts taux de féminisation de leur population active ne sont pas nécessairement ceux qui connaissent les taux d’accès aux postes de direction les plus élevés (Blanchard et al., 2009).
Il reste ainsi des points de résistance majeurs au processus de féminisation de l’encadrement supérieur. Ceux-ci tiennent en partie à la nature complexe de processus relevant de l’enchevêtrement de multiples dimensions et logiques, d’ordre individuel, familial, culturel, organisationnel, législatif et institutionnel qui sont au principe des comportements et décisions qui conditionnent la féminisation de ces postes à responsabilité. C’est ce qui justifie qu’un tel projet de recherche vise à les articuler.
1.1 Objectifs et caractère ambitieux et novateur du projet
Notre projet propose de mettre à jour les mécanismes à l’œuvre dans l’accès et l’exercice des métiers d’encadrement pour des femmes en première partie de carrière, mécanismes qui touchent à la fois aux représentations, à la division des rôles sociaux, aux stratégies des individus articulées à leurs dotations scolaires et à leurs aspirations professionnelles mais aussi aux supports institutionnels aidant à l’articulation entre vies professionnelle et familiale (Bustreel et al., 2012), aux politiques sociales plus généralement et enfin aux politiques des entreprises en matière de gestion des ressources humaines.
Nous adoptons deux partis pris. Le premier est celui de la comparaison européenne : une des originalités du projet WOMAN consiste à s’intéresser à ce qui fait obstacle à ces mécanismes en éclairant la situation française au regard de ce qui se passe dans d’autres pays européens, comparables en termes de développements économique et social mais relevant de construits sociétaux différents. Nous en retenons quatre : la France, la Suède, la Suisse et le Royaume-Uni. Le second parti pris consiste à nous focaliser sur les premières parties de carrière afin de prendre en compte les incidences potentielles des évènements familiaux dans une phase où les possibilités de mobilités promotionnelles, en rythme et fréquence, se concentrent (Dupray et Recotillet, 2009). Ces débuts de vie active sont également des moments marqués par des risques de déclassement pouvant concourir à retarder pour certains diplômés, et en l’occurrence les jeunes femmes, l’accès à des positions d’encadrement (Epiphane, 2002 ; di Paola et Moullet, 2009 ; 2012).
1.1.1. Plafond de verre et contextes sociétaux
L’objectif du projet WOMAN est donc d’explorer ce qui caractérise l’occupation des fonctions de managers par les femmes avant 40 ans, en France, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse. Au sein de ces pays, les différences sont nettes : en 2012, les femmes managers constituent en France 6,1 % de la population en emploi contre 8,6 % des hommes ; l’écart est plus marqué encore en Suisse (5,9 % vs 10 %), au Royaume Uni (7,7 % vs 12,8 %) mais aussi en Suède (4,3 % vs 7,1 %) (OCDE 2015).
L’hypothèse est que les mécanismes à l’œuvre se construisent et se pensent à l’intersection des contextes sociétaux et des organisations. Par contextes sociétaux, on entend la combinatoire entre les contextes législatifs – au regard des lois en faveur de l’égalité professionnelle –, les environnements institutionnels – plus ou moins favorables en termes de dispositifs de politique publique –, les systèmes éducatifs, organisationnels et professionnels – associés notamment à des formes diversifiées de division sexuée des formations, des métiers et des activités – et enfin, des modèles de représentations traduisant l’état des rapports sociaux de sexe dans une société donnée. Se placer dans un cadre comparatif international permettra de faire la part entre ces différents niveaux d’influence. Or, à notre connaissance, peu de recherches tentent d’articuler l’ensemble de ces dimensions dans la compréhension du plafond de verre.
Les pays retenus correspondent à des figures différentes. La Suède relève plutôt d’un système « égalitaire en substance » et le Royaume-Uni plutôt d’un contexte « égalitaire-formel » pour reprendre les régimes de ségrégation de Chang (2000). La Suède est ainsi caractérisée simultanément par un taux d’emploi féminin parmi les plus élevés d’Europe, une continuité des trajectoires d’emploi et une action publique conçue sur un mode égalitaire avec une politique sociale généreuse et des droits sociaux accordés sur une base individuelle. La ségrégation horizontale encore marquée jusqu’au seuil des années 2000 tend à fléchir (Ellingsaeter, 2013). Mais ce tableau positif reste à relativiser (Elgan, 2009 ; Rothstein, 2012). Le Royaume-Uni quant à lui, est marqué par une progression de l’emploi féminin largement fondée sur le temps partiel dès lors que les femmes deviennent mères et une intervention étatique minimale. Du point de vue des problématiques d’articulation entre vie professionnelle et vie familiale, ce pays se distingue par la faiblesse des politiques publiques en faveur du travail des mères, laquelle les pénalise dans leur progression de carrière (Gash, 2009). La France, pays hybride par excellence dans les différentes typologies de pays (O’Reilly, 2000), se caractérise au contraire par un taux d’activité féminin élevé et un taux d’emploi à temps partiel plus faible que dans les autres pays. Cette situation tient notamment à une dissymétrie entre une politique d’égalité sur le marché du travail, instrumentée par des lois successives depuis les années 1970 et une politique familiale généreuse mais dont les effets s’exercent parfois à l’encontre du premier objectif. L’empreinte d’un modèle nataliste et familialiste où les droits octroyés aux femmes sont, en effet, plus fortement associés à leur statut de mère de famille qu’à leur place sur le marché du travail en est au principe (Périvier, 2010). Enfin, la Suisse se caractérise par une forte ségrégation des emplois, notamment verticale – dont plus de la moitié s’explique par des critères de promotion différenciés entre femmes et hommes, résultant notamment des cultures d’entreprises qui chargent les candidatures féminines de stéréotypes défavorables (Dini Richard, 2004). Les femmes travaillent massivement à temps partiel et ce, plutôt pour des raisons liées à la famille ; ce pays est en effet fortement en retrait de la Suède ou de la France sur le plan de l’offre de structures collectives pour la petite enfance (Steffen, 2007). Ce retard de la Suisse par rapport aux autres pays en matière d’égalité femmes-hommes est peut-être aussi à rapprocher de la non appartenance de la Suisse à la Communauté Européenne, l’exonérant des objectifs fixés par l’Europe en la matière. Ces positionnements spécifiques sont confirmés par les travaux comparatifs ou typologiques qui situent ces pays par rapport à l’étendue de leur politique familiale (Korpi et al., 2013), le contenu « defamilialisant » de ces politiques (Lohmann et Zagel, 2016) ou la générosité des dispositifs de congés parentaux (Ray et al., 2010).
Le projet WOMAN vise ainsi à avancer dans la comparaison de pays qui répondent à des régulations de la division du travail et de soutien des politiques sociales et familiales différentes. L’articulation de ces différents registres, propre à chaque pays, est plus ou moins favorable à la promotion de l’égalité effective entre femmes et hommes dans l’accès et l’évolution dans les postes à responsabilité.
1.1.2. Parcours et représentations : mixité des approches disciplinaires et méthodologiques
Que les méthodes utilisées soient qualitatives ou quantitatives, les travaux comparatifs relient le plus souvent le niveau micro des parcours individuels et des représentations avec le niveau macro des déterminants structurels et institutionnels, laissant souvent comme angle mort le niveau méso de l’organisation. C’est ce niveau, considéré comme particulièrement pertinent dans les travaux de sociologie du genre (Ledwith et Colgan, 1996 ; Halford et Leonard, 2000), que le projet WOMAN propose aussi d’étudier, en particulier pour se pencher sur le décryptage des normes de carrière et de « fabrication » des managers au sein d’une organisation particulière, pour éclairer sous un jour différent la permanence du plafond de verre. L’objectif sur ce point est de contextualiser pour chaque pays les itinéraires de carrière et les discours dans un même espace organisationnel, historiquement construit en France et dont des filiales ont été plus ou moins récemment implantées dans les trois autres pays.
Si le questionnement n’est pas nouveau en ce qu’il s’inscrit dans l’abondante littérature sur le plafond de verre, le caractère novateur de notre proposition repose sur plusieurs aspects. Le premier relève de son interdisciplinarité (économie et sociologie) en ce qu’il entremêle des questions d’économistes sur les formes de valorisation des parcours individuels, les barrières à l’entrée des professions supérieures, les écarts de salaire et les mécanismes de ségrégation et de discrimination éventuellement à l’œuvre mais aussi la rationalité des décisions dans le choix de privilégier ou d’articuler la constitution d’une famille et le développement d’une carrière ; des questions de socio-économie qui vont s’intéresser à l’influence, sur ces comportements individuels, de dimensions plus macroéconomiques comme les politiques sociales, fiscales et familiales, les normes de genre, le mode de régulation des échanges sur le marché du travail ou encore le rôle des modèles éducatifs ; enfin, des questions plus directement sociologiques, comme la place des stéréotypes de sexe et des représentations, la construction des rapports sociaux de sexe et de domination et la manière dont ils innervent les comportements et leurs rationalités sous-jacentes. En outre, l’entrecroisement de questionnements relevant de différents regards disciplinaires devrait offrir un cadre d’analyse fécond pour comprendre comment les conduites individuelles s’imbriquent avec les registres d’influence et de détermination plus structurels ou culturels.
Le deuxième aspect novateur de ce projet tient à l’usage de méthodes mixtes d’analyse pour comprendre les processus complexes qui mettent en lien différents niveaux de ressources que sont les données quantitatives macroéconomiques ou individuelles et les données qualitatives. Du point de vue des données statistiques, ce sont les données Labor Force Survey (LFS) d’Eurostat qui constitueront la source principale, apportant un cadre d’interrogation comparable dans les quatre pays pour identifier l’appartenance à des postes à responsabilité tout en fournissant un certain nombre d’informations pour à la fois caractériser ces postes et identifier des facteurs individuels et biographiques susceptibles de peser sur leur accès. Il sera également fait usage des données Statistics on Income and Living Conditions (SILC) pour l’analyse des inégalités salariales et International Social Survey Programme (ISSP) pour caractériser statistiquement les représentations propres à chaque pays, en particulier l’enquête 2012 relative à la famille et aux rôles de genre ainsi que l’enquête 2015 portant sur les préférences dans l’activité professionnelle. Au regard du matériau qualitatif, nous disposons d’un terrain privilégié, en l’occurrence une grande entreprise française du secteur bancaire – BNP Paribas –, implantée dans les trois pays étrangers retenus. Il s’agira de collecter par entretiens à la fois l’expérience des femmes qui occupent des postes d’encadrement, de quelques homologues masculins, et les représentations des responsables RH (femmes et hommes) sur le recrutement, l’exercice et l’avancement des femmes dans ces fonctions.
Le troisième aspect novateur de WOMAN découle de l’obtention de ce terrain qui ajoute au niveau de comparaison entre pays un second niveau de comparaison. Ce dernier consiste à analyser les effets respectifs d’une culture d’entreprise et de cultures nationales. La première est assortie d’une politique de ressources humaines trans-nationale s’appliquant tant dans l’entreprise-mère française que dans ses filiales à l’étranger. Les secondes touchent aux rôles sociaux de sexe et aux environnements institutionnels, via notamment des politiques sociales et familiales susceptibles d’influencer la manière dont se construisent les « stratégies » de carrière des femmes managers. A cet égard, il sera intéressant de s’interroger sur l’existence d’une politique déclinée différemment selon les contextes au sens où une politique d’égalité conçue dans un environnement institutionnel et politique spécifique (compte tenu des politiques sociales et familiales qui l’entourent) est susceptible d’intégrer dans sa mise en application les singularités sociétales auxquelles elle se trouve confrontée.
Un dernier aspect novateur du projet WOMAN est d’analyser non seulement les parcours et le vécu des femmes engagées dans ces fonctions mais aussi les motivations invoquées par les responsables RH pour favoriser la féminisation des professions d’encadrement afin d’identifier les représentations sous-jacentes dans chacun des pays. Plusieurs recherches ont montré que, paradoxalement, encourager la mixité de certaines professions était loin de traduire une représentation asexuée de ces professions mais se conjuguait au contraire, la plupart du temps, avec des discours empreints de présupposés sexistes, assortis d’une justification du recrutement de femmes pour leurs aptitudes particulières. C’est ce que Le Feuvre (2007) appelle « la féminitude » quand la féminisation d’un groupe professionnel donne lieu à des discours essentialistes qui continuent d’attribuer aux femmes toutes une série de qualités « naturelles » et donc relativement immuables. L’objectif est de cerner si les discours et vécus entrent toujours en résonance, mais aussi de comprendre comment les dimensions institutionnelles et culturelles peuvent ou non rendre compte des cohérences ou dissonances entre ces récits.
Au fond, nous faisons nôtre la suggestion de Marry (2003) d’un « métissage des explications et des approches » en matière de méthodologie de comparaison internationale : il en va ainsi de l’intégration de la dimension subjective à nos analyses et du contrôle, au moins en partie, de l’hétérogénéité de l’environnement organisationnel par le choix de ne retenir qu’une seule grande entreprise pour les quatre pays.
1.1.3. Les apports attendus
Les quatre pays retenus présentent des configurations spécifiques au regard des dimensions mobilisées dans l’analyse. Le projet WOMAN étudiera, au regard de chaque contexte sociétal, l’accès aux fonctions d’encadrement des femmes et des hommes. Cette exploration passera à la fois par un repérage statistique de leurs caractéristiques et par une analyse qualitative des récits sur leurs expériences vécues. Il s’agira de cerner les conditions effectives de travail des femmes ainsi que leur perception sur ce qui notamment facilite ou au contraire freine cet accès.
D’un point de vue théorique, ce projet va éclairer comment les intentions et « stratégies » des femmes dans l’accès et l’avancement dans ces fonctions s’appuient, à des degrés et selon des pondérations diverses, sur les jeux de ressources et contraintes. Ceux-ci relèvent tant de l’organisation du travail interne à l’entreprise que des institutions et politiques sociales ou encore des normes sociales du rapport à l’emploi et à la carrière des femmes et a fortiori des mères.
Un deuxième niveau d’apport concerne la méthodologie et l’articulation de traitements quantitatifs et qualitatifs d’une part et celle relative aux dimensions micro, méso et macro, d’autre part. Ces traitements seront de nature à mettre en avant les apports respectifs de ces deux modes d’investigation et la valeur ajoutée qui se dégage de leur entrecroisement.
Enfin un troisième niveau d’apport se situe sur un plan thématique. Ce projet va permettre de sérier, voire de hiérarchiser l’importance des multiples niveaux de contraintes auxquels sont exposées les femmes, qu’il s’agisse de leurs propres représentations face aux injonctions culturelles et normes sociétales, des choix éducatifs à l’origine de la ségrégation éducative puis professionnelle, ou encore des stéréotypes de ceux dont dépendent leur recrutement et promotion dans les fonctions d’encadrement.
L’analyse du contenu des politiques publiques en capacité de soutenir plus ou moins l’articulation entre vies professionnelle et familiale permettra de mieux comprendre les espaces de négociation et d’arbitrage ouverts aux femmes dans chacune des sociétés investiguées pour accéder et évoluer dans ces fonctions. En effet, en documentant la manière dont les contraintes temporelles liées à la famille sont plus ou moins internalisées (restant à la charge de la famille), externalisées (reposant sur la collectivité et le marché) ou partagées avec l’entreprise selon les contextes sociétaux (Silvera, 2010), WOMAN vise à faire émerger les normes sociales et culturelles sur la place des femmes dans ces fonctions. Il s’agit de s’interroger sur leur degré de variabilité selon les régulations qui touchent au fonctionnement du marché du travail, aux politiques sociales et familiales et selon l’état des rapports sociaux de sexe dans un espace national donné (Le Feuvre, 2009). On peut penser notamment que les stéréotypes de sexe seront d’autant plus mobilisés par les acteurs de l’entreprise que les politiques correctrices des inégalités concentreront leurs actions sur les femmes, cristallisant ainsi les différences entre les sexes en ne s’adressant qu’à l’un d’entre eux. Ces types de dispositifs de compensation, en ne mettant pas les femmes et les hommes sur un pied d’égalité, légitiment ainsi les différences issues des stéréotypes de genre et peuvent induire un désengagement ou une relative inertie dans les progrès que les conjoints pourraient accomplir en direction d’un partage plus égalitaire des tâches.
L’ambition générale de WOMAN est de dégager les facteurs qui seraient les meilleurs leviers dans une configuration sociétale donnée, pour favoriser la mise en œuvre de politiques d’égalité réelle dans les entreprises du point de vue notamment de la possibilité de faire carrière et d’accéder à des positions de management. Symétriquement, il s’agira de montrer en quoi les pratiques d’entreprises et les politiques sociales et d’emploi à l’œuvre dans chaque pays sont plus ou moins porteuses d’avancées réelles en matière d’égalité professionnelle en fonction des dimensions législatives et culturelles qui les surplombent.
1.2. Etat de l’art
Ce programme de recherche va s’adosser à un ensemble de résultats qui empruntent principalement à cinq corpus thématiques : celui des comparaisons internationales, de ses méthodes et des constructions typologiques de pays ; celui du rôle de l’éducation dans l’accès aux fonctions de manager ; la question des ségrégations professionnelles et discriminations salariales ; la thématique de l’articulation entre sphère professionnelle et sphère familiale ; enfin, la place des représentations et stéréotypes qui jouent sur les comportements et décisions des différents acteurs en charge de l’allocation dans ces postes.
1.2.1. De l’intérêt des comparaisons européennes
D’un point de vue conceptuel, l’intérêt de la comparaison internationale est d’étudier des pays qui relèvent de cadres sociétaux variés. Nombre de constructions typologiques ont ainsi été développées, les unes puisant leurs inspirations dans les travaux précurseurs d’Esping-Andersen (1990) sur les modèles d’Etat-Providence, les autres insistant davantage sur la place des femmes dans une société donnée au regard de la famille et de l’emploi. Les nombreux travaux typologiques et empiriques autour du nombre d’idéaux-types et des pays qui s’y rattachent montrent une forte stabilité de la classification initiale (Arts et Gelissen, 2002) : le Royaume-Uni et la Suisse se retrouvent le plus souvent dans le type libéral, la France dans le type conservateur ou corporatiste et la Suède systématiquement rattachée au modèle social-démocrate. Si la publication de 1990 d’Esping-Andersen ignorait largement la place des femmes et de la famille, nombre de chercheur.e.s dont Lewis (1992) ont développé une approche en termes de régime de genre. En particulier, Lewis (2002) a montré l’importance des politiques en faveur du partage des temps d’activité rémunérée et non rémunérée entre femmes et hommes pour saisir l’évolution des Etats-Providence.
Parmi les autres travaux, d’emblée attentifs à la dimension du genre, citons entre autres l’approche des régimes de ségrégation de genre (Chang, 2000 ; Steinmetz, 2012), des contrats sociaux entre les sexes (Fouquet et al., 1998) ou de culture des modèles familiaux (Pfau-Effinger, 1998, 2012) et des politiques familiales (Korpi et al., 2013). Ces recherches proposent des cadres heuristiques pour aborder les similitudes et les divergences entre pays en lien avec la place accordée aux femmes dans le monde du travail. On prendra appui sur ces approches pour préciser nos hypothèses sur les contextes potentiellement « les plus aidants » à l’accès et l’avancée des femmes dans les postes d’encadrement.
Sur la méthode comparative, nombre de synthèses et d’analyses de travaux comparatifs plaident pour une combinatoire d’approches, les unes axées sur les variables rendues homogènes par les dispositifs d’enquête, les autres se fondant sur des études de cas (O’Reilly, 2003 ; Lallement et Spurk, 2003 ; Crompton et Lyonette, 2006). Les premières ambitionnent, par le recours à l’économétrie, de mettre en évidence les liens de causalité tandis que les secondes visent davantage la compréhension du phénomène prenant acte d’emblée d’une complexité des causes. Au regard des premières, les approches de type Benchmarking cherchent à dégager les meilleurs outils de politique publique en mesurant leurs effets sur une batterie d’indicateurs (Plantenga et Hansen, 1999). L’approche sociétale (Maurice et al., 1982) se range parmi les secondes en révélant des cohérences systémiques entre espace éducatif, espace organisationnel et espace des relations industrielles au sein d’un même pays. De ces approches, nous retenons la nécessité pour examiner l’accès et l’avancée des femmes dans les fonctions de manager de comprendre les systèmes de ressources et contraintes dans lesquels sont placés les individus, en particulier la nature des institutions plus ou moins « défamilialisantes » et « décommodifiantes » pour reprendre des concepts utilisés par Esping-Andersen et Lewis.
1.2.2. Le rôle de la formation initiale en question
L’accès aux positions de managers des femmes et des hommes tient pour partie à la nature des relations entre formations et emplois, relations historiquement construites et plus ou moins encadrées institutionnellement selon le pays. Les modes d’insertion professionnelle sont divers d’un pays à l’autre, les transitions de l’école à l’emploi dépendent largement du contexte national (Couppié et Mansuy, 2004 ; Anxo, 2015). Plusieurs travaux proposent de classer les pays au regard de leur modèle éducatif (Marsden, 1999 ; Brzinsky-Fay, 2007) ou sous l’angle de leur distribution des qualifications et des positions sur le marché du travail (Mons, 2004 ; Green et al., 2006 ; Verdier, 2009). Le rôle que tient l’école et plus précisément l’enseignement supérieur et les diplômes qu’il délivre dans l’accès aux positions de managers est donc plus ou moins structurant. Quelle que soit cette influence, les femmes ont partout au sein de l’Union Européenne une position a priori plus avantageuse que les hommes en matière de réussite scolaire et de niveau de formation atteint : près de 60 % des diplômés du premier cycle de l’enseignement supérieur sont actuellement des femmes (Commission européenne, 2008).
En France, la formation initiale et l’emploi sont envisagés de manière consécutive et c’est l’Etat qui est seul maitre d’œuvre en matière d’éducation. La méritocratie scolaire et ce séquençage temporel vont de pair pour expliquer le rôle central du diplôme dans l’accès aux positions d’encadrement. Les emplois de manager sont largement alloués aux sortants de l’enseignement supérieur long et de plus en plus à ces seuls diplômés (Eckert et Epiphane, 2003). Et certains de parler même de tyrannie du diplôme – celui d’une Grande Ecole nécessairement des plus prestigieuses – pour accéder aux positions de dirigeants (Bauer et Bertin-Mourot, 1993). Dans les grandes entreprises disposant d’un marché interne, les critères de recrutement pour les postes de managers jouent un rôle d’autant plus important qu’il s’agit de nouer des liens de long terme avec les salariés. Le processus de sélection à l’embauche privilégie ainsi des jeunes sortants de formation initiale, de préférence issus des grandes écoles, plutôt que les candidats en cours de carrière. Le rôle du diplôme est alors amplifié, car il détermine non seulement la hiérarchisation des rémunérations à l’entrée dans l’entreprise et ce, selon l’école d’origine, mais surtout le rythme de carrière (Guillaume et Pochic, 2007a).
D’un autre point de vue, le désajustement entre l’explosion des niveaux de qualification scolaire – commune à l’ensemble des pays européens – et le rythme moindre de progression de la structure des qualifications d’emploi se trouve exacerbé depuis la crise de 2008 (Lerais et Math, 2011). Des déclassements fréquents en résultent, invitant à revisiter les modalités d’accès à l’encadrement en début de carrière (di Paola et Moullet, 2009 ; 2012).
Par ailleurs, les trajectoires qui mènent de l’école au marché du travail obéissent à des logiques de genre (Lallement, 2006). Ces logiques tiennent en partie aux orientations scolaires sexuées et aux spécialités des diplômes détenus par les femmes et les hommes (Hillmert, 2012). En France, les ségrégations sexuées dans l’emploi en début de vie active sont imputables pour les deux tiers aux effets de ségrégation éducative (Couppié et Epiphane, 2006). Du fait de leurs orientations scolaires, les femmes se trouvent sous-représentées dans certaines filières élitistes qui constituent les viviers de recrutement privilégiés des dirigeants. Ainsi, leur accès aux sphères supérieures du pouvoir organisationnel reste plus limité, ce qui se joue finalement sur d’autres critères que celui de la méritocratie (Powell, 2000).
1.2.3. Ségrégations professionnelles et discriminations
Dans la plupart des pays européens, une ségrégation verticale relative au fait que les femmes sont sous-représentées parmi les professions supérieures et d’encadrement (Blanchard et al, 2009) et une ségrégation horizontale – les femmes sont plus souvent concentrées dans certaines professions, essentiellement présentes dans le secteur tertiaire – coexistent (Anker, 1998). Si l’origine éducative de la ségrégation professionnelle est centrale, le parcours des femmes et des hommes sur le marché du travail n’est donc pas un simple prolongement d’orientations scolaires sexuellement clivées. Les mécanismes de ségrégation éducative, puis sectorielle et professionnelle sont depuis longtemps mobilisés pour expliquer les différences entre les femmes et hommes sur le marché du travail (Rubery, 2002 ; Fagan et al., 2005). La ségrégation professionnelle est elle-même expliquée par des facteurs de nature micro tels que les préférences individuelles, socialement construites, différenciées des femmes et des hommes, les contraintes familiales (et leur intériorisation) qui pèsent plus lourdement sur les premières et des facteurs macro institutionnels. Mais, lorsqu’on analyse les variations d’un pays européen à l’autre, ce sont les interactions entre niveaux individuel et contextuel qui jouent un rôle clé pour expliquer la ségrégation horizontale et verticale (Steinmetz, 2012).
Du côté de l’entreprise, c’est plutôt à l’existence de pratiques discriminatoires que la ségrégation professionnelle renvoie. Les obstacles aux recrutements de femmes dans des postes d’encadrement peuvent relever d’une discrimination tenant par exemple à l’aversion des hommes à avoir comme supérieure une femme (Baldwin et al., 2001 ; Shatwani, 2012) ou encore à l’interprétation en termes de perte de prestige d’une profession masculine qui recruterait des femmes (Goldin, 2014). Ils peuvent également tenir à ce que les employeurs anticipent comme plus incertain l’attachement des femmes à l’emploi notamment avec l’arrivée des enfants. D’autres travaux prouvent l’existence et l’ampleur du plafond de verre mais ne disent rien des pratiques potentiellement discriminatoires des entreprises. La ségrégation verticale correspond aux barrières à l’entrée aux emplois les mieux rémunérés (Tomaskovic-Devey et Skaggs, 2002). Evaluée par nombre d’économistes, son ampleur relève de l’écart entre femmes et hommes dans les distributions des salaires (Albrecht et al. 2003), ou de cet écart une fois prises en compte les différences entre les deux populations quant à leurs positions dans la distribution des salaires (Gobillon et al., 2014 ; 2015). L’ampleur de la ségrégation verticale ainsi évaluée varie entre pays européens et dans ce cadre comparatif, il devient possible d’invoquer des arguments explicatifs tels que les différences nationales de politiques familiales ou institutionnelles (Arulampalam et al., 2007).
La ségrégation professionnelle est une des principales causes de l’écart de salaire entre femmes et hommes et de sa persistance – abstraction faite des différences de temps de travail (Sebawit et al., 2016 ; Bozio et al., 2014). En France, une fois identifié l’ensemble des facteurs « justifiant » les écarts de salaire, c’est essentiellement dans le haut de la distribution des gains que la discrimination est marquée, au sens où l’entendent les économistes – la part inexpliquée de l’écart (Breunig et Rospabe, 2013). De nombreux travaux ont par ailleurs établis les liens existant entre ségrégation professionnelle, inégalité salariale entre femmes et hommes et discrimination salariale. Dans différents pays, le salaire varie avec la composition sexuée des professions et travailler dans une profession féminisée est associé à des niveaux de salaire plus faibles que dans les autres professions (Bayard et al., 2003 ; Dupray et Moullet, 2015). Sur les débuts de vie active, c’est moins la composition sexuée de la profession en tant que telle que sa combinaison avec l’origine de la ségrégation (éducative ou post-éducative) qui alimente la moins-value salariale enregistrée par les femmes (Couppié et al., 2012). Mais c’est dans les professions masculines, où les écarts de salaire sont les plus faibles, que la discrimination salariale à l’encontre des femmes est la plus importante (Couppié et al., 2014).
1.2.4. Articulation des sphères professionnelle et privée
Dans les premières parties de carrière, avec les investissements temporels importants que réclament le plus souvent les fonctions d’encadrement, la vie familiale est susceptible de peser sur les déroulements de carrière des femmes – par exemple dans le secteur de la banque commerciale (Diederichs-Diop et Dupray, 2007). En France, le sentiment que la conciliation est difficile est particulièrement marqué chez les femmes managers (Garner et al., 2005). Strandh et Nordenmark (2006) dans une comparaison internationale trouvaient que les femmes suédoises faisaient l’expérience d’un plus haut degré de conflit entre vie domestique et professionnelle que les femmes des autres pays. Toutefois, Rupanner et Huffman (2014), comparant les conflits travail-famille et famille-travail dans une perspective de comparaison internationale, notent peu de différences entre France, Royaume-Uni et Suède tandis que la Suisse se détache avec une fréquence plus élevée de problèmes familiaux dus à la vie professionnelle.
Une abondante littérature s’est développée dans les années 2000 sur les connexions entre politiques familiales, activité des femmes et inégalités de salaire et d’emploi selon le sexe, notamment avec les résultats controversés de Mandel et Semyonov (2005, 2006) : le lien positif entre l’importance des politiques familiales, le poids de l’emploi public et la sous-représentation des femmes dans les fonctions d’encadrement. Selon Steinmetz (2012), les différences d’accès aux positions de managers, entre pays européens, s’expliquent en partie par des différences de politiques familiales. Une littérature substantielle (Hegewisch et Gornick, 2011) a été consacrée aux effets des politiques de conciliation vie familiale-vie professionnelle sur l’emploi des femmes. Cependant, un grand nombre de ces recherches s’est intéressé à la présence des femmes sur le marché au travail ou aux écarts de salaires (Grönlund et Magnusson, 2016). Les recherches sur les effets des régulations et des pratiques en matière de temps de travail des femmes pour aider à la conciliation sont peu nombreuses (Gornick et Heron, 2006 ; Silvera, 2010). Cette problématique est pertinente dans le cas des managers et plus particulièrement des femmes. Sur les arrangements de travail flexibles, Chung et Tijdens (2012) montrent que la France et le Royaume-Uni appartiennent au même régime de temps de travail favorisant les arrangements de travail flexibles dans l’intérêt des employeurs alors que la Suède appartient à un régime favorable aux arrangements de travail flexibles dans l’intérêt à la fois des salariés et des employeurs. La question de l’existence et de la définition de régimes temporels spécifiques pour les managers n’a apparemment pas été abordée. Un autre phénomène intéressant, mis en évidence aux Etats-Unis, est le « opting-out revolution » selon lequel des femmes managers, sorties des meilleures écoles et occupant des emplois très qualifiés, choisissent d’interrompre leur carrière pour s’occuper de leurs enfants. Ce « choix » semble concerner avant tout des activités avec peu de flexibilité horaire et des longues journées de travail comme la finance et les cabinets d’avocats (Bertrand et al., 2010 ; Herr et Wolfram, 2012).
Les difficultés d’articulation sont liées à la taille de la famille et à l’âge des enfants. En France, la proportion de femmes sans enfant est plus forte parmi celles qui ont connu des promotions alors que ce sont les hommes managers qui ont le plus d’enfants (Choné et al., 2006). En Suède, les écarts de recrutement sur les postes de managers sont marginaux tant que femmes et hommes sont sans enfant alors qu’ils s’accroissent avec leur arrivée (Bygren et Gälher, 2012). Guillaume et Pochic (2007a) montrent que les femmes ayant des carrières semblables à celles des hommes s’adaptent en partie via une organisation de la vie privée spécifique : absence de conjoint et/ou d’enfant, organisation atypique dans le couple. Plus souvent en couple avec des hommes cadres, elles subissent aussi l’effet de l’investissement professionnel de leur conjoint (Bertaux-Wiame, 2006 ; Gasser, 2015) sachant l’injonction croissante à la mobilité géographique parmi les cadres depuis vingt ans (Boussard, 2013). Par ailleurs, l’implication des pères dans le travail domestique peut varier aussi selon les contextes sociétaux (Dupray et al., 2011), en particulier en fonction du calibrage des congés parentaux (Bünning et Pollmann-Schult, 2016).
Il existe un assez grand nombre de travaux comparatifs sur les effets des politiques de soutien à la prise en charge des jeunes enfants (Lewis et al., 2008 ; De Henau et al., 2010). Le soutien que les politiques familiales nationales apportent ou pas aux couples à deux actifs est sans doute plus stratégique pour les managers que les dispositions en matière de congés parentaux. A cet égard, Thévenon (2011) et Meilland (2015) montrent que le Royaume-Uni et la Suisse offrent des congés parentaux courts et soutiennent uniquement les familles monoparentales à faibles revenus. A l’inverse, la Suède offre un soutien fort et continu aux parents actifs (Jolivet, 2015). Parmi 21 pays étudiés, Ray et al. (2010) montrent que la Suède obtient le meilleur score au regard de l’égalité de genre alors que la Suisse arrive en dernier. La France est dans une position intermédiaire, plus favorable que celle du Royaume-Uni.
1.2.5. Plafond de verre et stéréotypes
Les pratiques de sélection pour un poste, notamment d’encadrement, reposent de façon prégnante sur des caractéristiques mal définies, laissant une grande part aux jugements subjectifs (Borgogno et al., 2003). Les modes de recrutement n’ont pas la neutralité qu’on leur prête souvent mais ont, au contraire, de réels effets en matière d’exclusion de certaines catégories de personnes, notamment dans l’accès aux postes les plus prestigieux. Même si les critères utilisés ne sont pas tous juridiquement discriminatoires, ils sont les marqueurs d’une forme de « pré-jugement » qui peut s’apparenter à de la discrimination (Marchal et Rieucau, 2006). Comme le rappellent Eymard-Duvernay et Marchal (1997), le problème d’un recruteur n’est pas forcément d’être juste mais de sélectionner. Or, dans un contexte économique de récession avec pléthore de candidatures, il peut par exemple se contenter d’éliminer sur des critères très simples un grand nombre de candidats, pour focaliser son jugement sur quelques-uns. Le postulat implicite est que le recruteur va supposer comme statistiquement corrélés ces critères (visibles) avec les qualités (invisibles) qu’il souhaite de ses salariés (Marchal, 1999 ; Lada, 2005 ; Sénac-Slawinski, 2005 ; Cortéséro et al., 2013). Ainsi, les jeunes femmes, même fortement diplômées, font souvent, dès le début de leur carrière, les frais de leur appartenance à leur catégorie de genre (Couppié et Epiphane, 2006, 2016 ; Epiphane, 2002, 2006 ; Flahault, 2005). En effet, nombre d’études ont montré combien les femmes font l’objet de sanctions pratiques ou symboliques telles que la naturalisation disqualifiante des compétences, une mise à l’épreuve des capacités professionnelles, des entraves à la carrière ou encore la confrontation au sexisme, que celui-ci soit hostile ou bienveillant (Marry, 2003 ; Buscatto et Marry, 2009 ; Epiphane et al., 2013). Quels que soient les contextes organisationnels, prédomine une gestion sexuée des compétences et des carrières qui conduit à dénier aux femmes pouvoir et autorité dans l’entreprise (Laufer, 2004).
Le genre opère comme un habitus sexué (Bourdieu, 1998) et génère des manières d’agir souvent considérées comme naturelles. Il constitue ainsi un opérateur de la division sexuelle du travail (Kergoat, 1998) et cette naturalisation du genre contribue non seulement à la perpétuation de la domination masculine, mais fait également l’objet d’usages économiques au sein de la sphère professionnelle. Ainsi, les qualités assignées à l’un ou l’autre sexe font souvent office de compétences (Jonas et Séhili, 2007 ; D’Agostino et al., 2014).
Impulsée par les politiques publiques qui exigent des entreprises davantage d’égalité salariale entre femmes et hommes et de parité dans l’accès aux postes et fonctions, la féminisation de certaines professions, comme celles de l’encadrement, est à l’œuvre. En outre, cette féminisation est congruente avec de nouvelles « façons de manager » et fait écho aux « bienfaits de la mixité » mis en avant dans les discours RH (Meynaud et al., 2009) ; les femmes sont en effet supposées apporter de nouvelles « compétences féminines » à cette fonction telles que l’écoute, l’intuition, la recherche du consensus, le pragmatisme, la rigueur… (Chaintreuil et Epiphane, 2014).
Pourtant, Guillaume et Pochic (2007a) ont montré, qu’en dépit de politiques d’entreprises favorables aux femmes, perdurent des points de résistances majeurs au processus de féminisation de l’encadrement supérieur. Quelles que soient les représentations et les stéréotypes en vigueur, les différences de sort faites aux femmes et aux hommes dans l’organisation sont le produit de la structure bureaucratique et non le résultat de caractéristiques liées aux femmes et aux hommes en tant qu’individus (Kanter, 1977). Ces points de résistances sont donc « encastrés » dans les processus organisationnels et les discriminations dont les femmes font l’objet se nichent à la fois dans les modèles managériaux dominants (Laufer, 2005), les pratiques informelles de gestion des carrières (Fortino, 2002), le poids des réseaux (Durbin et Tomlinson, 2010), mais aussi dans les dimensions culturelles et symboliques du pouvoir dans les organisations, qui se déclinent toujours surtout au masculin (Wajcman, 1998). Devenir manager pour une femme c’est encore souvent adopter le modèle masculin de management, les conduisant à adopter des postures « masculines » notamment en se rendant disponible « comme un homme » (Laufer et Fouquet, 2001 ; Pigeyre, 2001). Dans les métiers de la finance « l’ethos professionnel masculin » fonctionne comme un système de clôture face aux femmes et celles qui parviennent à percer le plafond de verre ne le font pas en subvertissant l’ordre du genre (Boussard, 2016).